Nicolas Adam, Stéphane Terlet et le “meilleur beurre du monde”
À Maël-Pestivien, dans les Côtes-d’Armor, un éleveur de vaches Froment du Léon et un chef doublement toqué tissent depuis plusieurs années une histoire de goût, de fidélité et d’engagement. Le beurre qui les unit ne ressemble à aucun autre.
Il portait un seau, un tabouret, et toute sa foi dans les mains. Chaque jour, Stéphane Terlet trayait ses vaches à l’ancienne, au milieu des prés bretons, pour produire un beurre rare, solaire, inimitable. Mais sans local adapté, sans labo, sans soutien bancaire, son projet vacillait. Jusqu’au jour où Nicolas Adam, chef de La Vieille Tour (2 toques) à Plérin, a décidé de ne pas le laisser tomber.
Un beurre pas comme les autres
Il y a, en Bretagne, un coin de campagne vallonnée où les vaches paissent en silence. Là, au cœur des Côtes-d’Armor, la ferme Couleur Froment s’étire sur une vingtaine d’hectares d’herbe rase, ponctués de bois, de haies, de ciel. Stéphane Terlet y élève avec passion un troupeau de vaches Froment du Léon, une race endémique, élégante, aux grands yeux sombres et à la robe blonde qui frôle l’or au couchant. “Elles ont quelque chose de très doux dans le regard”, confie-t-il. “On les appelait autrefois les “vaches à madame”. Moi, j’en suis tombé amoureux.”
Ces vaches, nourries exclusivement d’herbe et de foin, donnent un lait riche, parfumé, dont la crème offre un beurre d’une couleur naturellement jaune, presque safran. Ce beurre-là, Stéphane le travaille avec une minutie rare : traite douce, barattage lent, gestes patients. “Quand tu entends l’herbe craquer sous leurs pas, tu sais qu’elle est croquante. Et c’est cette herbe-là qui donne ce goût.”
La vache, le chef et la banque
Lorsque les premiers blocs de beurre arrivent dans la cuisine de La Vieille Tour, l’accord est immédiat. “C’est le meilleur beurre du monde”, assure, sans vaciller, Nicolas Adam. Mais derrière la délicatesse du produit, la réalité est dure. Stéphane trait ses vaches à la main, assis sur un tabouret, son seau de métal entre les jambes, au beau milieu du champ. Puis, il transporte le lait chez un voisin pour la transformation. “Je faisais tout à l’ancienne, mais à force, j’étais rincé. J’avais besoin de pouvoir passer un cap, de m’équiper.”
Les banques, elles, ne suivent pas. Projet trop petit, trop rural, trop atypique. Stéphane songe à arrêter. Et c’est là que Nicolas Adam s’en mêle. “Ce n’était pas possible de le laisser tomber alors qu’il avait de l’or dans les mains”, se souvient le chef, qui précise que ce beurre d’un jaune intense est l’une des premières gourmandises déposées sur la table de son restaurant sur le Port du Légué. Il prend son téléphone, appelle la banque, raconte l’histoire de Stéphane, et… achète une vache, Henriette. “Ce n’est pas moi qui l’ai choisie, mais l’inverse. C’est la première à s’être approchée de moi et à me donner des grands coups de langue”, s’amuse encore le chef de La Vieille Tour. “Mais c’était un achat symbolique. La vache est bien sûr restée chez Stéphane, avec le reste du troupeau.”
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Un lien rare, une qualité constante
Ce geste a tout changé. Dans la foulée, la banque rappelle. Le prêt est débloqué. Une salle de traite est construite, un laboratoire voit le jour. La charge de travail reste intense, mais elle devient soutenable. Le beurre, lui, garde son âme. Salé sur-mesure selon les chefs et sorti du frigo quelques minutes avant le service pour exprimer tout son parfum. “Je n’ai jamais voulu qu’il me rembourse cette vache”, dit Nicolas Adam. “J’ai fait ça pour que ça continue. Pour qu’on ait ce produit-là demain encore.”
Aujourd’hui, le cheptel de Stéphane Terlet compte seize vaches et l’éleveur fournit neuf restaurants gastronomiques - Asten à Binic, Nicolas Carro à Carantec, Allium à Quimper, La Tête en L’Air et Empreinte à Vannes, le Domaine du Limonay à Saint-Méloir-des-Ondes ou encore L’Hostellerie de la Pointe Saint-Mathieu à Plougonvelin. Alain Ducasse lui-même a craqué pour ce beurre exceptionnel, qu’il propose chez Ducasse Baccarat à Paris. “Il en garde aussi pour sa consommation personnelle”, nous glisse Stéphane Terlet, d’un air malicieux. “Mais Nicolas reste celui que je fournis en priorité”, ajoute-t-il, comme un gage de reconnaissance éternelle.
Quant à Henriette, elle a eu un veau. Et comme un clin d’œil à leur histoire, c’est Nicolas qui a choisi son nom : Roméo.