Grégory Garimbay, chef au Saint James & Camille Hery, cheffe de culture au Clos de Nonville
Dans le cadre de notre série "Un cuisinier, un jardinier & leur potager", direction le Saint James à Paris ou plus exactement au Clos de Nonville, le potager qui enrichit la cuisine du chef Grégory Garimbay, chef du restaurant Bellefeuille.
Cela ne fait quelques mois (février 2024) que Grégory Garimbay est arrivé à la tête des cuisines du Saint James. Pourtant, il a déjà noué des liens fors avec Camille Hery, cheffe de culture du Clos de Nonville, propriété, comme le Saint James, de la famille Bertrand, qui y exploite un potager afin d‘approvisionner le restaurant de cet hôtel discret de l’ouest parisien. Un facteur qui a sans doute joué dans la décision de le rejoindre, pour ce chef au parcours solide (chef exécutif de Thoumieux, sous-chef au Plaza Athénée puis chef de l’Auberge Nicolas Flamel).
C’est le précédent propriétaire de ce domaine de Seine-et-Marne, qui avait, suivant les plans initiaux du 17ᵉ siècle, installé ce vaste potager d’un hectare et demi. On trouve même dans ce parc un vignoble dont la production, confiée à un vigneron partenaire, est encore en mode expérimental. L’annonce n’est pas encore officielle, mais le Clos de Nonville, racheté en 2021 par le Groupe Bertrand et dédié à des évènements privés, deviendra dans les prochaines années une destination gastronomique et hôtelière ouverte à tous.
Qu'est-ce qui vous a séduit dans le Saint James ?
Grégory Garimbay : Depuis mon arrivé à Paris, c'est-à-dire début 2011, alors que j’étais commis au Plaza Athénée, je vous jure que c'est vrai, je rêvais de devenir chef du Saint James ! Aujourd’hui, en fin de service, il m’arrive de regarder autour de moi et de me dire que c'est fou. L'endroit est dingue, unique et assez exclusif. J’ai un outil de travail de dingue, une équipe incroyable, une clientèle intéressante, et bien qu’il y ait encore, beaucoup de travail à faire, je ne m'étais pas trompé sur ce lieu. Je me sens à ma place. Comme toi Camille, qui te sens à ta place ici.
Justement Camille, quel est votre parcours ?
Camille Hery : J'ai un diplôme d'ingénieure en agro-développement international. Puis, je me suis formée en maraîchage, parce que je me suis rendu compte qu’il me serait impossible de passer ma vie dans un bureau. J'adore avoir les mains dans la terre, mais le maraîchage, ce n'est pas que ça. C'est aussi beaucoup de réflexion et d'anticipation. En termes de variété, d'adaptation, d'itinéraire technique, de changement du climat, c’est hyper vaste. J'ai commencé en faisant du maraîchage pour les AMAP, c'était complètement différent.
Comment était le potager à votre arrivée ?
C.H. : En 2021, il y avait déjà quelques cultures, mais assez peu. La vraie première saison a été en 2022. Ça ne fait pas un énorme recul, mais ça s'est bien passé. Nous sommes une équipe de trois jardiniers pour la partie maraichage. Nous avons une grande partie en plein champ qu'on appelle "les carrés du chef", un verger encore très jeune, une petite serre à plants dans laquelle nous produisons les deux tiers de ce qui est planté ici, et deux tunnels. Notre grand projet a été la construction d'une serre en verre de 750 m² qui est sur le point d’être opérationnelle. Elle va nous permettre de gagner un bon mois sur certaines cultures, notamment pour allonger la saison des légumes d'été. Parce qu'en plein champ, si nous avons par exemple un été pluvieux, les maladies arrivent vite. Alors qu’en serre, nous contrôlons l'irrigation, l'hydrométrie. La serre devient vraiment prioritaire et un point de vigilance hyper important pour nous.
Quand est arrivée la proposition de travailler au Saint James, saviez-vous qu’il y avait un potager ?
G.G. : Je le savais déjà, bien sûr. Il est certain que ça me parlait, mes parents en avaient un, je sais comment ça pousse. Mon intention est de faire le maximum pour que notre travail en cuisine soit en phase avec le potager. Ça n’est pas encore tout à fait le cas, parce qu’on travaille sur l’ancien plan de culture qu’on a juste légèrement remodelé. Sur le prochain, il y aura un peu moins de variétés, mais plus ciblées. Le plus délicat est que Camille et moi avons énormément de travail et qu’il nous faut prendre le temps de parler et d'échanger. C'est pour ça que je veux venir au moins une fois par mois. Ça fait un peu de route, mais ça n’est pas grave, c'est important.
© DR - Matthieu Salvaing
Quelle influence ce potager peut-il avoir sur le restaurant ?
G.G. : Il faut que Nonville devienne le point central et d'ancrage de la démarche du Saint James, notre fil conducteur. Mais pour ça, il faut que j’implique l’équipe qui ne réalise pas forcément la chance qu'on a. J’ai certains Parisiens qui n'ont jamais vu pousser un légume et ne se rendent pas compte de la difficulté qu’il y a à ramasser une carotte et de l’énorme travail en amont, les semis, le désherbage, etc. Ils font bien leur job, mais il faut parfois remettre un petit coup en leur disant : attention, soyez vigilant, comprenez, regardez, ressentez les choses.
C.H. : Pour nous aussi, c’est primordial de tisser des liens avec les équipes. En plus, on n'a pas du tout les mêmes horaires. On leur envoie des textos à 7 h 30 du matin, mais vu qu'ils se sont couchés à 2h, ils répondent à 18 h 30 ! Mais ça fait partie du jeu.
Venir au potager, aiguise-t-il votre créativité ?
G.G. : Carrément ! C'est pour ça que je veux vraiment venir. C’est aussi ma façon de fonctionner, Il faut que je vois les produits. C'est la subtilité du truc. Parce que vous avez beau avoir en tête un plan de culture, vouloir anticiper, vous êtes tributaire de tout ce qui peut se passer, un gros coup de chaleur ou de gel, et vous devez adapter. C'est compliqué à gérer, mais j’aime ça. Il ne faut rien figer parce que sinon après, vous avez le même plat toute l'année.
Qu’est-ce qu’un bon légume ?
C.H. : Un légume qui a du goût ! C'est important de sélectionner les variétés, en favorisant des petits semenciers, par exemple la Ferme de Sainte Marthe. J’aimerais dans les années à venir, être encore plus sélective sur les variétés, notamment celles adaptées à notre terroir. Le sol a évidemment un impact sur le goût. Le fait d'avoir un sol avec un peu d'argile donne plus de goût aux légumes qu'un sol très sableux. Aussi, pour être honnête, les légumes cultivés en extérieur ont fréquemment un petit peu plus de goût, parce que la serre filtre une partie des UV. Mais c'est tellement risqué de cultiver dehors, que bien souvent, on priorise la serre. L'année dernière par exemple, les melons dehors, ont très bien grossi, ils étaient magnifiques. Et puis au moment où ils devaient mûrir, on a eu 15 jours de pluie. On a eu des melons, mais ils n'avaient pas de goût. Il faut savoir gérer l’arrosage et le faire au bon moment, notamment pour les radis. Les radis bottes par exemple, si on les trouve un peu piquants et qu'on doit les envoyer le surlendemain, on met un coup d'eau et ça apaise le goût, le lendemain, la différence est flagrante.
G.G. : Ce qui fait la différence, c'est qu'il est ramassé, tout de suite envoyé et rapidement cuisiné. Il peut être stocké en chambre froide au restaurant, mais il n’a pas fait 2-3 jours de camion avant. C'est pour ça qu'il n’est finalement pas nécessaire de chercher telle ou telle variété rare pour se distinguer. Je préfère manger, comme je viens de le faire, une fraise parfaitement traitée, parfaitement cueillie plutôt que de m’embêter à faire je ne sais quel légume ou fruit. Avoir des minicarottes, des mini ceci ou cela, je m'en fiche. Enfin, ça dépend. Le navet, par exemple, plus il est petit, plus il va être sucré, avec moins d'amertume. Sa peau sera toute fine, et en fait ça qui va faire la différence. Après, je ne suis pas là à demander tel calibre, au centimètre près. En fait, notre avantage est qu’au Saint James, y a le gastro, la terrasse, le club le midi qui est plus bistro, le room service. Donc le haricot très très fin, on va le passer au gastro, celui un peu plus gros, on va en faire une bonne salade pour la terrasse.